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114e Congrès des notaires de France : « Demain l’énergie »

Civil - Immobilier
29/05/2018
La deuxième commission du Congrès des notaires de France s’est intéressée à l’avenir de nos forêts et des énergies renouvelables.
« En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ». C’est sur ce slogan publicitaire des années 70 que maître Antoine Gence, notaire à Rouen, a introduit les débats de la deuxième commission du 114e Congrès des notaires, « Demain l’énergie », qui se déroule à Cannes depuis le 28 mai dernier.

Et d’ajouter que nous affaiblissons notre pays par une trop forte consommation d’énergie fossile.
Pourtant, des discussions fortes ont déjà eu lieu et des engagements juridiques ont été pris (par exemple, le Grenelle de l’environnement s’est engagé à atteindre un niveau de 32 % s’agissant de la part des énergies renouvelables en 2030).

Nous avons des idées encore aujourd’hui et surtout la volonté de réussir cette transition énergétique. Il faut par ailleurs rattraper les principaux pays européens qui nous ont largement dépassé en la matière. En effet, par exemple, la Norvège couvre la totalité de sa consommation énergétique en énergie renouvelable, l’Allemagne et l’Espagne, 30 % alors que nous ne sommes qu’à 18 %.

Il est également précisé que presque 30 % de la surface du territoire est couverte de forêts qui sont un véritable réservoir de biomasse, un réservoir de richesse.

Après cette courte introduction, maître Antoine Gence a exposé les de cinq propositions de cette deuxième commission.

Simplification du regroupement forestier

En effet, le morcellement de la propriété forestière est un frein à la gestion des bois et forêts. En outre, la gestion forestière durable, prévue par la loi, est très difficile à mettre en œuvre pour les petites propriétés. Enfin, le regroupement de la propriété forestière est un objectif majeur pour la nation.
Dès lors, le 114e Congrès des notaires propose :
  • de simplifier le regroupement de la propriété forestière :
  • en fusionnant les droits de préférence et de préemption forestiers en un droit de priorité unique,
  • en créant un droit de délaissement de la propriété forestière de moins de quatre hectares (il s’agit d’instaurer une procédure simple et rapide afin que les petits propriétaires, par succession notamment, puissent céder leurs parcelles moyennant une indemnité modique. Le maire devra l’acquérir sans possibilité de refus : le prix à verser sera alors faible et forfaitaire),
  • et en simplifiant la procédure des biens sans maître (actuellement, le bénéficiaire est la commune mais la procédure à suivre est lourde et complexe. La procédure serait alors confiée à l’organisme titulaire du droit de priorité et du droit de délaissement) ;
  • de confier la mise en œuvre de cette politique à un organisme unique.
Cette proposition a été adoptée par 96 % des votants.
 
Création d’un fonds de garantie pour le démantèlement des éoliennes

Madame Corinne Lepage, avocate spécialisée en droit de l’environnement, enseignante à l’institut d’études politiques de Paris, ancienne ministre (1995-1997), est intervenue avant les débats.

Pour elle, la transition énergétique est inévitable, inéluctable. Ce n’est pas une option. L’option c’est le temps. Nous sommes en retard. Toujours à 18 %. Il y a 20 ans, nous étions déjà à 15 %. Il faut le vouloir. Il est donc important que les notaires se mobilisent, que la société civile s’en occupe.

L’abandon des énergies fossiles en 2050 est-il réalisable ? Oui, selon l’avocate. Mais cela n’a pas été « écrit » lors de la COP21. C’est réalisable si nos technologies le permettent : l’électricité, les transports, la pétrochimie, le chauffage, etc. Si nous ne voulons plus d’énergies fossiles, il faut trouver des solutions : utiliser moins de calories et trouver de nouvelles techniques (villes intelligentes ou chimie verte, par exemple). Les territoires doivent avoir les moyens juridiques, politiques et économiques pour y parvenir.

Quant au stockage de l’énergie, il faut utiliser le surplus pour fabriquer de l’hydrogène et la transformer en méthane en y ajoutant du carbone dont nous disposons en quantité.

Pourquoi un tel retard français ? En potentialité, nous sommes les premiers. Notre pays est en effet une réserve d’eau, de bois, de soleil, de vent, entouré de mers. L’énergie nucléaire n’est plus adaptée : elle est chère et risquée car les centrales sont vieilles. En outre, l’énergie est centralisée (58 réacteurs) alors que les énergies renouvelables, ce sont les énergies des territoires donc décentralisées.

Un dernier message de Corinne Lepage à l’attention des notaires présents au 114e Congrès : la transition énergétique devient un sujet "grand public" si les notaires s’en emparent. Ils ont un rôle de médias important. Il est essentiel de tenir ce discours. On ne peut faire autrement. Les questions de santé et d’environnement sont des questions majeures et nécessairement liées. Les notaires gèrent les successions. Quelle succession voulons-nous pour nos enfants et petits-enfants : que devient notre terre, notre monde ? Un "monde pourri" par la chimie, par des perturbateurs endocriniens, par une augmentation du nombre de cancers. On est tous responsables. Tout est lié. L'énergie est liée à la santé et les notaires doivent être un vecteur de changement.
 
Le rapporteur de la deuxième commission, Éric Meiller, notaire à Saint-Chamond, à la suite de l’intervention de Corinne Lepage, rappelle que le développement des énergies renouvelables est une nécessité pour la transition énergétique. Néanmoins, les réticences du voisinage sont souvent un obstacle à l’installation des éoliennes (désagréments multiples) et le démantèlement de celles-ci, quand il est obligatoire, n’est pas toujours assuré (le socle de béton, notamment, n’est pas ôté).
Allons-nous vers la création d’un cimetière pour éoliennes ? En effet, seul le démantèlement des éoliennes ICPE est réglementé.

Dès lors, le 114e Congrès des notaires propose :
  • qu’un fonds de garantie destiné à financer le démantèlement des éoliennes soit créé afin de pallier la défaillance éventuelle des exploitants ;
  • que ce fonds de garantie soit financé par les exploitants eux-mêmes.
 
Cette proposition a été adoptée par 97 % des votants.
 
Refonte de l’usufruit forestier des bois et forêts

Le président de la deuxième commission relève que les articles du Code civil relatifs à l’usufruit sur les forêts, inchangés depuis 1804, sont inadaptés aux modes contemporains de gestion forestière (aujourd’hui, les coupes et les plantations sont programmées et concernant le reboisement, il faut un investissement important, le suivi des travaux devant être étalé dans le temps). En outre, aucune disposition de ce même code ne prévoit la prise en charge des travaux forestiers, ni le coût de la replantation.
Il est par ailleurs nécessaire de fixer les droits et obligations de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Et il convient de rendre en compte les pratiques et usages régionaux.

Dès lors, le 114e Congrès des notaires propose :
  • que les dispositions relatives à l’usufruit des bois et forêts soient insérées dans le Code forestier ;
  • que les dispositions concernant l’usufruit des arbres isolés, fruitiers et de pépinières, soient maintenues dans le Code civil ;
  • qu’une présomption de mise en coupes réglées soit établie dans les propriétés forestières gérées conformément à un document de gestion durable ;
  • que le produit net des coupes non périodiques soit partagé entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, selon la valeur respective de leur droit (en adaptant les dispositions de l’article 621 du Code civil) ;
  • que la charge des travaux forestiers incombe à celui qui perçoit le produit de la coupe ;
  • que le nu-propriétaire ait la faculté légale de pallier la carence de l’usufruitier en matière de gestion forestière, et inversement (cela permettra de surmonter les blocages familiaux) ;
  • que des règles régionales puissent être mises en place pour tenir compte de la variété des situations (les propriétaires seront alors soumis aux règles régionales de l’usufruit si elles existent).
Il s’agit d’une réforme et non d’une révolution. Coupes périodiques dans les taillis et futaies demeurent à la charge de l’usufruitier. Les nouvelles règles seraient uniquement supplétives de volonté.

Cette proposition a été adoptée par 98 % des votants.
 
Création d’un contrat d’ordre public d’installation d’énergie renouvelable pour les particuliers

Le président de la deuxième commission constate que l’installation d’une énergie renouvelable domestique ne relève que de textes de droit commun, inadaptés aux enjeux. En outre, la politique législative ne doit pas se limiter à des incitations financières (avantages fiscaux et mécanisme de l’obligation d’achat en revendant l’électricité consommée au-dessus du coût du marché). Seulement 300 000 foyers français sont par exemple équipés en panneaux photovoltaïques et à peine 15 000 auto-consomment la totalité de l’électricité, contre un million en Allemagne.
Il faut créer un cadre sécurisé afin que les particuliers ne soient plus démarchés par des installateurs peu scrupuleux et que le coût et la durée de vie de ces installations ne soient plus un obstacle.

Dès lors, le 114e Congrès des notaires propose :
  • d’instaurer un contrat d’ordre public régissant la fourniture et la mise en place d’une installation d’énergie renouvelable domestique ;
  • que ce contrat contienne :
    • une garantie de mise en service avec raccordement au réseau,
    • une garantie de production minimale d’une durée de dix ans,
    • une assurance obligatoire couvrant ces garanties ;
  • que ce contrat renvoie, pour les travaux de construction, aux règles applicables au projet envisagé : VEFA, CCMI ou contrat d’entreprise.
Cette proposition a été adoptée par 97 % des votants.
 
Mise en place du bail forestier

La forêt française est insuffisamment gérée selon le rapporteur de la deuxième commission, Éric Meiller (en plus du déficit chronique de la filière forêt-bois). Des moyens humains, techniques et financiers doivent y être affectés pour garantir une gestion pérenne.
De même, des modes alternatifs de gestion doivent être imaginés et promus. Enfin, la dissociation de la propriété et de l’exploitation forestière doit être facilitée (car responsabilité de l’exploitation ne peut être confiée au propriétaire, il ne peut assumer tous les risques ; en effet, la gestion forestière est une activité professionnelle et non un hobby ou un passe-temps).

L’idée du bail forestier s’impose alors. Le statut du fermage ne peut pas s’y appliquer car ses dispositions ne sont pas adaptées : encadrement des loyers ou droit au renouvellement, notamment. Plus de place doit être laissée à la liberté contractuelle mais la loi doit fixer le cadre dans lequel cette liberté s’exercera.

Dès lors, le 114e Congrès des notaires propose la mise en place d’un bail forestier. Celui-ci prévoirait :
  • une durée comprise entre 18 et 99 ans (pour tenir compte du cycle long de l’arbre), avec faculté de résiliation anticipée par le bailleur à compter de la trentième année, moyennant indemnité ;
  • le transfert de l’obligation de gestion durable au preneur (souscription à un plan simple de gestion) ;
  • un loyer payable soit périodiquement, soit à la coupe, en numéraire ou en nature ;
  • et sauf convention contraire :
  • la conservation par le bailleur des aménités compatibles avec la gestion forestière (promenade, cueillettes, chasse, etc.),
  • la possibilité pour le preneur de disposer des plantations existantes.
Par ailleurs, le bailleur devra bénéficier sur option d’une neutralité fiscale, tant au titre de l’impôt sur le revenu (régime du forfait forestier) que pour les impôts sur le patrimoine (« régime Monichon » pour les baux d’au moins trente ans). Pour les baux inférieurs, le bailleur peut s’obliger à présenter une garantie de gestion durable sur trente ans.

Cette proposition a été adoptée par 92 % des votants.
Source : Actualités du droit